MARYVONNE
– En représentation au Théâtre du Train Bleu à Avignon du 8 au 27 juillet 2022 –
En février 2018 je suis allée dans mon village en Champagne Ardennes pour filmer ma grand-mère, pour avoir enfin la discussion que nous n’avions jamais eue toutes les deux. De cet échange fragile, tendu, pudique je retiens ce qu’elle me dit de son existence, la réalité de ses quatre-vingts ans, de son veuvage et sa vie d’intellectuelle. Je l’interroge sur des thèmes très basiques, mais la spontanéité et la sincérité de ses réponses font la force de notre échange, et je suis la plupart du temps sans voix et sans réponse.
Cet échange est le cœur du spectacle. Comment d’une interview où je lui demandais de me lire des textes importants pour elle, nous en sommes venues à aborder des sujets qui nous dépassent : l’amour, la vieillesse et enfin la mort violente de mon grand-père dont nous n’avions jamais reparlé.
MARYVONNE c’est donc un aperçu de notre relation dans toute sa pudeur, son respect mais aussi dans toutes ses zones d’ombres et ses non-dits qu’il faillaient exprimer. C’est poser la question – celle que l’on gardait pour soi, que l’on n’osait pas exprimer par peur ou par doute- pour enfin se comprendre. Cette discussion restera pour moi un échange majeur avec ma grand-mère; il était important de la partager et c’est pourquoi j’ai décidé d’en faire ma première création. Envisagée d’abord comme une maquette de fin d’étude il a été rapidement question de faire grandir le projet pour qu’il devienne un véritable objet de théâtre documentaire. C’est une première création, une première écriture et une première réalisation motivée par l’envie de partager cette histoire et de découvrir comment elle résonnera pour les spectateurs.
REVUE DE PRESSE
Mediapart le 24 Septembre 2021
« Maryvonne » est un spectacle à aller voir s’il passe près de chez vous : une première mise en scène pour Camille Berthelot, fraîchement sortie du Conservatoire à rayonnement régional de Paris. Émouvant et riche.
C’est un de ces spectacles que l’on va voir comme cela, pour tenter…. Le festival Wet°, à Tours, c’est l’occasion de voir des pièces de jeunes créateurs. Lieux et horaires parfois iconoclastes, tarifs permettant toutes les découvertes…. Sortir du travail, courir. 19H30, dans la salle dévolue ordinairement au jazz. Maryvonne, texte et mise en scène Camille Berthelot, joué par Alma Livert.
Et c’est un texte qui, dès l’abord, porte en lui-même l’interrogation sur sa propre nécessité, sur son sens, son intérêt. Parler de sa grand-mère, s’interroger sur la relation ( ou la non-relation…) que l’on a avec elle, pour quoi faire ? Catharsis seulement, ou…. ?
Et c’est alors un curieux dispositif qui est mis en place. La comédienne, seule en scène, ne dialoguera jamais qu’avec l’image filmée de sa grand-mère répondant aux questions de sa petite-fille, image diffusée sur un grand écran en arrière-plan. Mise en scène de la création du texte, puisque la grand-mère – Maryvonne, c’est elle -accepte de répondre aux questions de sa petite-fille qui lui a expliqué qu’elle l’interrogeait pour faire un spectacle de théâtre.
L’intérêt de ce spectacle, se demandait l’auteur et metteuse en scène ? Visiblement évident pour les nombreux spectateurs qui étaient venus et ont largement soutenu la pièce qui venait d’être donnée. Par l’émotion que suscite cette grand-mère -pas du style facile facile, ce n’est pas a grand-mère tout en douceur, en câlins et en gâteaux-, que suscite plutôt cette retenue permanente, cet humour et cette auto- dérision sur fond de visage à la Buster Keaton. Et par l’émotion retenue aussi de la jeune comédienne Alma Livert.
Une famille où on n’exprime pas ses sentiments – avec une grand-mère qui ne sait exprimer d’elle ce qu’elle ressent qu’au travers de citations des nombreux livres qu’elle a lus, peignant en creux ce qu’elle est, littérature résonance aussi de ce qui a été ressenti, littérature objet d’échanges avec l’époux défunt dont l’absence crée le manque. Dire en semblant ne pas dire, s’offrir à sa petite-fille en acceptant la demande sans s’offrir. Retenue et intensité. Silence et expression. Mise à distance par le fait que la grand-mère n’apparaît que filmée.
Et c’est sans doute justement vertu de ce spectacle de faire place au(x) silence(s), au non-énoncé, au creux. Peut-être justement parce que c’est rendre grâce à ce qu’est aussi la littérature, le creux, le non-dit – une certaine suspension du souffle. Maryvonne ? L’art du peu dit, du non dit qui fait vibrer l’âme. Et qui fait entendre l’intensité indicible.
Jean Talabot pour Le Figaro le 17 janvier 2020
Il ne faut pas grand-chose pour habiller le Lavoir Moderne Parisien, petit théâtre aux faux airs troglodytes perdu au cœur de la Goutte d’Or. Éclairée par le mince faisceau d’une lampe, une jeune femme s’installe à son secrétaire et sort une cigarette. Sur le mur du fond, comme une peinture rupestre animée, le portrait de Maryvonne, 80 ans, apparaît. Il a suffi de quelques heures d’entretiens vidéo à l’iPhone, et d’un projecteur, pour construire ce drôle de champ-contrechamp théâtral.
La comédienne Alma Livert y rejoue la confrontation entre l’auteure, Camille Berthelot, et sa grand-mère, Maryvonne. On y parle littérature, beaucoup. Côté bibliothèque, la grand-mère en connaît un rayon: Lespinasse, Stendhal, Bernanos, Quignard. Tourne d’exquises litotes: «C’est peut-être que la tendresse m’apparaît comme une chose importante» et autres aphorismes maryvonniens. Aborde sans détour le suicide de Jacques, son mari. La vidéo, ennemi juré du spectacle vivant? Pas ici. Bizarrement, elle offre un rapport organique entre ces deux générations. Minuscule face à cet interlocuteur géant, Alma Livert joue avec les rapports d’échelle. Caresse ses rides. La coupe, se fait couper à son tour. Tout sonne juste. Un spectacle bourré de délicatesse, qui dégage un charme particulier contre les vieilles pierres du Lavoir Moderne.
Pascal Lesquelen pour IO gazette le 2 mars 2020
Sur la piste de sa mère, Jeanine, la jeune écrivaine Blandine Rinkel faisait en 2017 avec « L’Abandon des prétentions »le deuil de l’autofiction documentaire. Son écriture fragmentaire, préservant le mystère des proches, semble être prolongée par ce spectacle écrit et mis en scène par Camille Berthelot qui « raconte sans la juger » sa grand-mère Maryvonne. Sur l’écran noir de nuits tabagiques, Camille (doublée au plateau par Alma Livert) projette un entretien froissé. La bibliothèque intérieure de Maryvonne renaît par des lectures éphémères d’une littérature un peu triste, le récit consumé d’une rencontre amoureuse, quelques leçons de vie peu instructives. Chic et grognon, le visage dont la petite fille n’a jamais sondé la distance persiste désormais à l’image.
Filmée sans trop savoir pourquoi, Maryvonne impose au document sa nuit de cafetière italienne. Elle adore cette littérature où « tout est contenu » en « peu de lettres ». Elle-même est un texte laconique, une poétique de l’énigme qu’aucun vaillant spéléologue ne pourra domestiquer. Au départ, l’enquête théâtrale prend l’allure de retrouvailles fictives. Le dialogue illusoire entre l’actrice et l’écran fait naïvement de la scène un sanctuaire réparateur. Puis, quand le montage s’embrume et clignote, ce théâtre autofictif voulant éviter l’écueil de l’« entre-soi » devient un véritable dispositif, une expérience intime et opaque permettant la rencontre et la séparation, la connivence et la coupure.
Hostile comme Pascal Quignard aux embrassades impuissantes qui accompagnent le deuil, Maryvonne offre malgré elle à Camille toute sa politique théâtrale. Cette petite-fille dont le spectacle n’est pas une ultime étreinte ni la promesse d’une épiphanie, mais une communion salvatrice avec la part invisible et invincible des êtres chers. « Sous la lampe, entourée de noir, je te dispose », écrivait Jacques Roubaud.